1 juillet 2017

15 ans de la CPI : 15 questions à Fadi El Abdallah, son porte-parole

À la Conférence de Rome de 1998, marquant l’avènement du Traité fondateur de la Cour pénale internationale (CPI), les Déclarations les plus significatives qui furent faites au sujet de cette institution judiciaire très innovante émanaient de l’Afrique. Sans le soutien de nombreux pays africains, le Statut de Rome n’aurait peut-être jamais été adopté. En effet, l’Afrique est la région la plus largement représentée parmi les membres de la Cour (avec 34 États parties). Cette confiance et ce soutien ne viennent pas seulement des gouvernements mais aussi de la société civile de ces pays.

Quatre ans plus tard, le 1er juillet 2002, après sa ratification par 60 États membres dont le premier fut le Sénégal, le Statut de Rome entre en vigueur. Fort malheureusement, il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que l’on assiste à une véritable levée de boucliers à l’encontre de la Cour dont la vocation est pourtant salutaire : juridiction internationale permanente qui vise à lutter contre l’impunité en poursuivant les crimes les plus graves commis sur le territoire des États membres ou par leurs ressortissants – sans tenir compte de la qualité officielle ou non, du  suspect (article 27 du Statut de Rome). Ce qui donne la possibilité à la CPI de poursuivre même un Président en exercice.

De 2002 à 2017, qu’est ce qui n’a pas marché ?

Je ne veux pas croire que cette disposition soit l’une des raisons de ce désamour entre la CPI et la plupart des États africains, surtout ceux qui ont librement signé et ratifié le texte fondateur, manifestant ainsi leur engagement à être lié par celui ci.

Contre vents et marrées, le Bureau du Procureur Fatou Bensouda reste inébranlable. Serein, il poursuit son combat en faveur des victimes des nombreuses crises que connaissent nos États. Entraînant des crimes qui choquent la conscience de l’humanité.

Aujourd’hui, la Cour a 15 ans. Mais jusque là, elle reste méconnue, voire inconnue pour certains qui lui font un procès…A tort, ou à raison ? Pour ces personnes là, le Chef de l’Unité des Affaire publiques, Porte-parole de la CPI, Monsieur Fadi El Abdallah a accepté de répondre à mes questions. 15 questions qui pour moi, taraudent (parfois) l’esprit de plus d’un.

Du fonctionnement de la Cour à son vœu le plus cher à ce jour, en passant par la situation en Côte d’Ivoire, cette interview, ma foi, apportera certainement un petit plus à votre regard sur cette juridiction. Et je souhaite que ce plus vous permette de mesurer son importance pour l’humanité, de lui faire confiance et de la soutenir.

Quelles sont les premières affaires de la CPI et ses premières décisions rendues depuis sa création ?

24 affaires ont été ouvertes pour 39 individus. Il y a eu neuf condamnations et un acquittement. Six suspects sont détenus par la Cour. Six affaires sont au stade du procès, deux en phase d’appel et trois en phase de réparations. 14 suspects sont encore en fuite, les mandats d’arrêt à leur encontre n’ayant pas encore été exécutés.

Quel est le budget de la CPI pour l’an 2017 ?

Le Budget-programme de la CPI pour 2017 est de 141.6 million d’euros. [ soit environ 93 milliards de FCFA – NDLR ]

Comment son fonctionnement est-il financé ?

La Cour est financée par les contributions des États parties, 124 actuellement, qui contribuent chacun à la hauteur de leurs ressources, notamment la hauteur de leur PIB et leur population.

Quels sont les principaux contributeurs ?

Le plus grand contributeur au budget de la CPI est le Japon, suivi par l’Allemagne.

Son niveau de financement a-t-il évolué depuis sa création ?

Le budget de la Cour a logiquement augmenté à mesure que les activités de la Cour ont augmenté, tout particulièrement au début de ses activés et pendant toute la phase de mise en place logistique de l’institution. Il est cependant plus stable ces dernières années. Le budget 2017 a augmenté de 3.6% par rapport à celui de 2016 par exemple.

Existe-il des États membres qui ne sont pas à jour de leurs cotisations ? Si oui, quelles pourraient en être les raisons ? Le Statut de Rome dispose-il de moyens de pression à cet effet ?

Les contributions des États parties en temps opportun sont importantes pour la stabilité financière de la Cour et ses opérations.

Selon l’article 112 du Statut de Rome, un État partie qui est en retard dans le versement de ses contributions financières perdra son droit de vote à l’Assemblée des États parties (AEP)… l’Assemblée peut néanmoins permettre à cet État de voter s’il est convaincu que son défaut de paiement est dû à des conditions indépendantes de sa volonté.

L’AEP a également créé un fonds de réserve pour permettre à la Cour de gérer toute augmentation imprévue de la charge de travail en cours d’année, par exemple, l’ouverture d’une nouvelle enquête.

Quels sont les rapports de la CPI avec les autorités ivoiriennes qui jusque là, n’ont pas transféré l’ex première dame Simone Gbagbo ? La Cour espère-t-elle un jour recevoir cette accusée ?

La Côte d’Ivoire a d’une façon constante coopéré avec la CPI, y compris pour la remise de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé à la Cour, et pour les activités d’enquêtes et autres demandes en lien avec les procédures en cours. Nous espérons que les autorités ivoiriennes continueront cette coopération, y compris en ce qui concerne les demandes de remise de suspects à la Cour, selon le cadre juridique établi par le Statut de Rome. Le mandat d’arrêt délivré par les juges de la CPI en février 2012 à l’encontre de Mme Gbagbo est encore en cours, et la Côte d’Ivoire demeure dans l’obligation de remettre cette dernière à la Cour. Les juges de la CPI avaient rejeté l’exception d’irrecevabilité soulevée par les autorités ivoiriennes qui ne pourraient la soulever une seconde fois qu’avec l’autorisation des juges.

Existe-il encore des mandats d’arrêts sous scellés en ce qui concerne la Côte d’Ivoire ?

La Cour a émis 3 mandats d’arrêts publics à ce jour.

Le bureau du procureur de la CPI poursuit ses enquêtes de façon impartiale sur tous les crimes commis en particulier lors des violences post-électorales entre novembre 2010 et avril/mai 2011, quels que soient les auteurs potentiels et leurs affiliations.

La Côte d’Ivoire paye-t-elle ses cotisations ? Quel est le montant ?

Oui, la Côte d’Ivoire paye une contribution au budget de la CPI. Sa contribution en 2016 s’élevait à 20 898 euros [ Soit environ 14 millions de francs CFA – NDLR ].

Après 15 ans d’existence, quelle stratégie compte adopter la CPI en vue de [re]gagner la confiance de la plupart des États africains ?

Les États parties africains ont joué un rôle important dans la création de la CPI et plus généralement en vue de renforcer les mécanismes de responsabilisation et de lutte contre l’impunité pour les crimes graves. Ce sont des objectifs partagés. Chaque État a le droit souverain de décider de rejoindre ou non la CPI et de rester, ou non, partie au Statut de Rome. Néanmoins, le soutien et l’adhésion de tous les États sont essentiels pour pouvoir traduire en justice les auteurs de crimes et protéger les victimes dans le monde entier.

Quel pourrait être son message en vue de rassurer l’Union Africaine qui œuvre pour un retrait collectif des États africains ?

La CPI a entamé un dialogue soutenu avec les États et appelé à une plus grande coopération pour renforcer conjointement le système de justice pénale internationale.

Pourquoi les procédures sont-elles si longues ?

La CPI est une institution judiciaire très innovante où tous les participants sont confrontés à une diversité de nouveaux défis matériels et procéduraux, alors que les procédures ont lieu souvent loin des lieux des crimes. Les crimes poursuivis par la CPI sont de nature spécifique et bien souvent il s’agit de crimes de masse qui nécessitent un nombre de preuves très important. Les procédures sont complexes et il existe de nombreuses questions qui doivent être résolues dans les coulisses au cours d’une affaire. Il est aussi important de toujours voir l’accélération des procédures à travers le prisme des droits de la Défense, car un procès plus rapide doit cependant pouvoir assurer l’équité de la procédure.

Les priorités de la présidence de la CPI sont justement d’améliorer l’efficacité des procédures et tous les organes de la Cour participent activement à des réformes importantes vers cet objectif. Au cours des derniers mois notamment, les juges ont entrepris des efforts collectifs sans précédent pour accélérer le processus pénal en adoptant des meilleures pratiques et en révisant les méthodes de travail. Ces efforts ont déjà donné des résultats très positifs et visibles.

À quand la fin du procès Laurent Gbago et Blé Goudé ?

Il n’y a pas de date exacte fixée par les juges pour la fin du procès. Une quarantaine de témoins ont comparu pour l’accusation et après que l’accusation ait présenté son affaire devant les juges, ce sera au tour de la défense d’appeler ses témoins. À la fin de cela, les juges entreront en délibération pour le prononcé du jugement. Ce processus peut prendre plusieurs mois.

À quand l’élection du prochain procureur ?

Fatou Bensouda a été élue le 12 décembre 2011 et a assumé ses fonctions de procureur le 15 juin 2012 pour un mandat de 9 ans. Son mandat se terminera donc en juin 2021.

Quel est le vœu le plus cher de la CPI à l’occasion de son 15ème anniversaire ?

Les quinze dernières années ont montré que la justice pénale internationale fonctionne, et qu’elle est vraiment nécessaire. La CPI a prouvé de façon pratique qu’elle était capable de poursuivre, par le biais d’un processus judiciaire équitable, les auteurs des crimes les plus graves tels que l’utilisation d’enfants soldats, les attaques armées contre les populations civiles, la violence sexuelle en période de conflit et la destruction de patrimoine culturel. La CPI soutient les droits de la défense tout en s’adressant aux victimes et en veillant à ce qu’elles soient effectivement représentées.

Le 15ème anniversaire de sa mise en marche est l’occasion pour la Cour d’inciter la communauté mondiale à redoubler d’efforts pour la soutenir.

La Cour a besoin d’un appui suffisant et concret pour enquêter et poursuivre. La Cour dépend de la coopération pour recueillir des éléments de preuve, arrêter ses suspects, protéger ses témoins et faire appliquer ses peines.

La Cour a aussi besoin du soutien universel de tous les États pour pouvoir traduire en justice les auteurs de crimes et protéger les victimes dans le monde entier.

Propos recueillis par MZ

Joyeux anniversaire à la Cour !

PS : La CPI lance la campagne #Avoir15ans marquant son 15ème anniversaire. Pour participer, cliquez ici.

Partagez

Commentaires