Sécurité à Abidjan : quand le racket s’invite dans les opérations de rafle

Article : Sécurité à Abidjan : quand le racket s’invite dans les opérations de rafle
Crédit: I.V.G.
24 juin 2016

Sécurité à Abidjan : quand le racket s’invite dans les opérations de rafle

Son mode opératoire est toujours décrié, ses motifs sont parfois méconnus des populations, et celles-ci ne sont pas très souvent informées (à travers un communiqué par exemple). Comme si elles n’avaient pas le droit de circuler librement. Les agents commis à la tâche se montrent parfois avares en courtoisie.

Il est à peine 23 heures. Je me retire à environ 5 minutes de mon lieu d’habitation sis à Abidjan, Cocody-RTI. Jusque là, tout allait bien, je ne me souciais de rien – marchant à pas comptés avec mon téléphone portable en main pour répondre à un message. Cette nuit là, j’espérais trouver une cabine téléphonique en vue de prendre des unités. Une fois en face d’un restaurant de la place, mon attention fut attirée par trois jeunes gens visiblement paniqués. Au moment où je m’apprête à leur demander ce qu’il se passe, je me rends compte quelques secondes plus tard que nous sommes encerclés par environ quatre agents de la police nationale. Sans aucune forme de procès, l’un d’entre eux lance à notre endroit : « Eh vous quatre là, vous êtes raflés. C’est une opération de rafle systématique. Allez ! Montez dans le véhicule. »

« Monsieur s’il vous plaît, vous pouvez vérifier mes pièces d’identité, je suis juste à côté-là, je me suis retrouvé ici parce que j’ai besoin de transférer du crédit sur mon téléphone pour un appel urgent », essayais-je de me défendre. Peine perdue. Mon interlocuteur me rétorqua : «Monsieur montez, on n’a pas besoin d’explications, montez rapidement on va quitter ici !». Pour éviter de me faire brutaliser, je m’exécute – pendant ce temps, l’un des interpellés a pu se soustraire du groupe grâce à l’agilité de ses jambes.

En route pour la préfecture de police

Le véhicule démarre en trombe, l’un des agents indique la destination : « Préfecture de police ! ». Un peu plus loin, un autre infortuné va grossir notre nombre déjà trop suffisant pour les places assises dans le pick-up. A peine le véhicule se gare à son niveau que l’homme, un peu interloqué, explique ce qu’il fait dans la rue à cette heure : « Je viens du travail Chef, j’ai déjà appelé à la maison même, on a laissé le portail ouvert pour moi… Pardon Chef… Pardon… Pardon… » supplie-t-il, au point où j’avais beaucoup de compassion pour lui. J’aurais souhaité qu’ils vérifient juste ses pièces et le laissent partir en paix, mais il finit par nous rejoindre, tout abattu.

Au fait, la moindre résistance peut conduire ces forces de l’ordre ( ?) parfois agités à vous brutaliser. Sans oublier les railleries que vous essuierez durant tout ce temps en leur compagnie, et dont ils sont les seuls à avoir le secret. Parvenus à l’entrée de l’institution hôte, les Policiers de garde s’excitent à la vue du véhicule qui nous transportait : « Aaah bonne arrivée ! Allez ! Ya matelas là bas, on a bien dressé ça pour vous. » Un autre ajoute : « Faut leur trouver des « moussos »* pour la nuit hein !… » ironisent-ils. En fait tout est fait pour saper le moral des citoyens qui ont commis le crime parfait de se retrouver sur leur chemin. On sent d’ailleurs que la plupart d’entre eux ont la nostalgie des traitements qu’ils ont subis au cours de leur formation militaire. Du coup, c’est parfois avec plaisir qu’ils en font la triste restitution auprès des populations.

Enfin dans la cour de la préfecture de police pour les modalités d’accueil

L’accueil n’est pas aussi sympa que cela. Sur ce site, vous devez savoir que vous n’êtes pas n’importe où. Et les agents ayant en charge de vous accueillir font très bien leur travail en la matière. Apparemment heureux de voir ce beau monde, l’un d’eux annonce les couleurs : « Ici c’est le centre de transfusion sanguine, vous allez donner votre sang cadeau aujourd’hui…Ils sont gros gros comme ça… s’ils te piquent le sang coule en même temps… » Faisant allusion aux moustiques qui ont pu se développer « grâce » à l’insalubrité qui caractérise les cellules où nous passerons la nuit. Pour rester dans le même registre (de raillerie), un officier révèle : « Eeh moi quand j’étais étudiant on me raflait heinn ! Presque chaque jour j’étais raflé… Façon ça fait mal !!! Donc je dis un bon jour je vais me venger… »

Avant de regagner les cellules, des listes sont ouvertes, sur lesquelles étaient recensés nos noms, prénoms et domaines d’activité. Après avoir renseigné ladite liste, je m’accoude sur les rebords de l’arrière du 4X4, attendant sereinement d’être conduit avec les autres dans le sous sol nauséeux de la préfecture de police.

Une « élégante » corruption

L’un des agents trouve sans doute une belle occasion d’avoir un peu d’argent pour sa nuit. Il avance vers moi, et me demande pourquoi je suis là. Après lui avoir répondu comment j’ai été raflé, il tente de me rassurer : « … Si tu as quelque chose, donne-moi. Tout de suite même je demande aux autres de te déposer là où ils t’ont pris, devant chez toi. » Je n’avais pas la somme sollicitée, et vu mon état de santé fragile ces dernières années, je me sentais obligé de saisir la perche en lui proposant la moitié afin d’éviter le supplice psychologique lié à mon imminente présence dans cette cellule nauséabonde. Je lui remets alors une bonne partie de ce qui restait dans ma poche comme sous. Galvanisé, il s’adresse à son collègue qui tenait la liste sur laquelle figurait mon nom : « Jeune, lui là, c’est mon petit frère heinn, il faut enlever son nom sur la liste, et puis en retournant sur le terrain, partez avec lui. » Celui-ci ne semblait pas d’avis. Il m’intima l’ordre de suivre les autres, déjà en file indienne pour occuper le sous sol. C’est ainsi que mon futur libérateur me demande de le suivre. Il me fait installer dans une cellule tout aussi inconfortable, mais avec moins de monde et de promiscuité, où j’ai partagé un peu plus d’une heure avec environ 6 autres détenus – avant d’être libéré plus tard vers 2 heures du matin. Heureusement que j’avais encore de quoi à emprunter un taxi.

Ce que je retiens de cette expérience

Crédit photo : Page facebook de la Plateforme de Lutte Contre le Racket
Crédit photo : Page facebook de la Plateforme de Lutte Contre le Racket

Je suis profondément déçu de constater qu’au nom d’une quelconque opération de sécurisation de la ville d’Abidjan, certains agents chargés d’assurer la sérénité des personnes s’illustrent si négativement en se servant de ces mesures pourtant louables, comme des épouvantails à l’endroit des populations. Quelle est l’opportunité d’une opération de rafle systématique si le racket s’y invite, de sorte qu’après avoir perçu une certaine somme, l’interpellé est libéré peu de temps après sans toutefois prendre le soin de vérifier son identité ? A quoi servira véritablement une rafle systématique caractérisée par du deux poids deux mesures, où les catégories de détenus ayant pu obtenir leur libération eux-mêmes ou par leurs proches profitent aussitôt du vent précieux de liberté (sans vérification d’identité) au détriment de ceux qui n’ont malheureusement pas eu ces privilèges ? En plus, à la limite, ceux qui sont libérés au cours de la nuit devraient être raccompagnés chez eux par ces agents de police. Mais hélas ! Ils doivent se débrouiller, comme je l’ai fait moi-même.

Je suis également peiné d’avoir été conforté dans l’idée que chez nous (ici), la prison, parfois dépourvue de son caractère normatif, fait plutôt prévaloir son rôle punitif et rime avec souffrance psychologique et physique du détenu. Un état qui aspire à l’émergence à l’horizon 2020, mais où les choses se déroulent comme si une fois qu’une personne se retrouve derrière les barreaux, elle passe désormais au stade de sous Homme. Au point où l’état de dégradation avancé de certains lieux de détention se présenterait comme un critère qualitatif déterminant, avec des agents de police eux même exposés à ces dégradations.

Ce qui me révolte, ce n’est pas du tout le fait que la police fasse son travail, c’est plutôt la manière dont ce travail est exécuté.

Pour une sécurité plus fiable en Côte d’Ivoire, il nous faudrait des agents de police plus responsables.

« Mousseau »* : Femmes

M.Z.

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